«On voit avec le Mahâyâna apparaître un nouvel idéal, celui du Bodhisattva, pratiquant qui cherche à obtenir l’éveil ou qui l’a déjà trouvé. Le but ultime du bouddhisme, l’éveil, n’implique plus, comme auparavant le nirvâna, que l’on se retire du monde des sens – au contraire. Le terme Bodhisattva a donc subi un glissement de sens, puisqu’il ne signifie plus simplement un futur Bouddha, par exemple Sâkyamuni dans ses vies antérieures ou Maitreya maintenant, mais bien un être d’ores et déjà éveillé, mais vivant en ce monde (ou dans d’autres).
L’idéal du Bodhisattva est venu concurrencer celui de l’Ahrat : on passe ainsi de l’ascète hors du monde au saint dans le monde. Ce nouvel idéal implique évidemment une critique de l’ancien. A en croire les tenants du Mahâyâna, l’Ahrat ne pratiquait que pour lui-même, pour atteindre le nirvâna le plus rapidement possible; tandis que le Bodhisattva, dans sa grande compassion, n’aspire à devenir Bouddha que pour pouvoir guider tous les êtres vers l’éveil et refuse le salut s’il n’est qu’individuel. On insiste maintenant non plus sur une sorte de sainteté passive, marquée par le renoncement, mais sur des vertus actives (les Six Perfections: le don, la patience, l’énergie, la moralité, la concentration, la sagesse) plus adaptées aux besoins des individus ordinaires. Du coup, la « carrière » de Bodhisattva n’est plus limitée aux moines, mais ouverte aux laïcs, hommes et femmes. Le but ultime, lui aussi, s’est modifié : ce n’est plus la sainteté débouchant sur le nirvâna, mais l’éveil suprême et parfait qui permet d’œuvrer en ce monde pour le salut de tous.
Selon certains textes Mahâyâna comme le Sûtra du Lotus, le chemin du Bodhisattva est le seul chemin véritable: tous les autres ne sont que des expédients, de pieux mensonges pour aider les êtres à prendre conscience de cette réalité unique. Il n’y a donc qu’un seul « véhicule », le Grand Véhicule: tous les autres ne sont qu’illusion. Il y a deux temps forts dans la « carrière » d’un Bodhisattva: la production initiale de l’esprit d’éveil (bodhicitta) et l’obtention finale de l’éveil suprême. Bien que ces deux moments puissent être séparés par un intervalle de temps parfois fort long (à l’échelle de nombreuses vies), le moment final est déjà contenu dans le moment initial. Ce dernier est donc extrêmement important, puisque c’est alors que le croyant fait vœu, non seulement d’atteindre l’éveil, mais de retarder cet éveil jusqu’à ce que tous les êtres soient sauvés. C’est cet esprit de compassion qui va le porter dans toute sa pratique, aplanissant toutes les difficultés.»
Bernard Faure, Le Bouddhisme, Dominos / Flammarion, 1996, pp. 36-37
Cf. aussi entrée THERAVÂDA / MAHÂYÂNA !
Les textes proposés sur le blog de Shikantaza expriment avant tout l’opinion de leurs auteurs. Les lecteurs sont invités à les examiner avec l’esprit de libre arbitre prôné par le Bouddha dans le Kalama Sutta.
1 commentaire
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19 avril 2011 à 15:37
Frédéric Baylot
Un texte succinct et clair
Si, compte tenu de la souffrance qui a de tout temps existé,la « voie de la Grandeur », du Mahayana, a semblé bien adaptée à la vie terrestre et mondaine, elle me semble d’autant plus l’être à notre époque, où nous sommes face à un vrai défi « de vie » dans notre société globale.
Toutefois le « bouddhisme » n’a, il me semble, jamais été un long fleuve tranquille (même si l’image du fleuve est reprise dans le mahayana pour parler de l’alaya, la conscience profonde 😉 ) et depuis les premiers enseignements du Bouddha (dont finalement que pouvons nous dire ce que nous en savons réellement ? en dehors de son expérience peut être) il y eu toute une recherche des maîtres qui se sont succédés pour essayer de construire toute une métaphysique autour de ces enseignements. Constructions qui se sont parfois opposées entre les différentes écoles, mais souvent nourries. Et de mon humble point de vue de néophyte je ne les vois pas comme opposées mais tentatives différentes de mises en pratique de ces enseignements primordiaux (incertains d’après moi) ce qui fait que la voie érémitique peut conserver sa propre valeur et n’est pas niée par la Voie de la Grandeur. Sinon cela ne serait-il pas nier la justesse de l’expérience du Bouddha historique ?
Salutations à tous les membres du Sangha belge
Frédéric (dessinateur de Zem, http://zemapprentimaitrezen.wordpress.com/ , plus en questions qu’en réponse :mrreen:)