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L’ALTRUISME DU ZEN [Émission Sagesses Bouddhistes du 03 février 2008 – extraits]
http://www.bouddhisme-france.org/archives/voix_bouddhistes/detail_des_emissions/080203.htm
Journaliste : Sandrine Colombo / Invité : Maître Kengan Robert
S.C. Vous tenez à cette expression « L’altruisme du zen », plus qu’à « L’altruisme dans le zen » ?
K.R. Oui, parce que le mot zen lui-même est la prononciation japonaise du mot sanscrit « dyana » qui veut dire recueillement. Le recueillement, c’est l’acte fondateur du bouddhisme. Le Bouddha s’est installé sous son arbre, après avoir fait différentes pratiques pour essayer de trouver la sagesse, dans l’idée d’aider tous êtres, y compris nous, 25 siècles plus tard. N’ayant pas trouvé la plénitude de la sagesse dans ces pratiques, il s’est tout simplement assis sous un arbre en disant qu’il ne bougerait pas de là, tant que la sagesse et la vérité qu’il avait cherchées pendant des années, ne viendraient pas à lui. Cet acte fondateur s’est perpétué dans tous les courants du bouddhisme.
C’est l’expression d’un message à l’intention de tous les êtres qui souffrent de leur mal-être, de leur tristesse, de leur peur de la mort. Cet acte ne peut apporter la sagesse à quelqu’un que s’il est fait avec une dimension qui le dépasse. Les deux jambes de la pratique (…) c’est de pratiquer le recueillement pour faire apparaître, émaner de soi la sagesse, et, en même temps, faire le vœu de sauver tous les êtres, aussi innombrables soient-ils.
S.C. Alors justement, comment se manifeste l’altruisme ?
K.R. C’est d’abord un état d’esprit. Il y a d’abord cette sagesse que l’on intègre en soi, ou que l’on laisse émerger en soi par la pratique de l’immobilité, à la manière du Bouddha. (…) Toute notre tradition est fondée sur cette pratique-là.
Lorsque vous avez trouvé la tranquillité parfaite dans l’immobilité complète (le recueillement accompli, samadhi en sanscrit) votre cœur est complètement ouvert, d’abord dans l’expression de la joie. C’est un état d’esprit de joie qui se manifeste et cette joie-là est communicative, on entreprend les choses avec enthousiasme. Par ailleurs, dans la pratique de cette sagesse, au moment de ce recueillement accompli, l’être humain appréhende l’univers de façon très large et intègre tous les paramètres de la vie sans a priori, sans réticence, sans jugement, sans se dire que cela lui plaît ou pas. (…) L’altruisme se manifeste dans le Zen à travers un message d’espoir (la troisième noble Vérité) et à travers quatre attitudes, quatre méthodes.
- LE DON. Le don, c’est donner la parole de sagesse, mais c’est aussi se donner soi-même, donner son temps, donner tout son savoir, donner son enthousiasme aussi, sans arrière-pensées, sans jugement et sans même attendre de merci. Tous les textes bouddhistes nous le disent, en particulier le maître fondateur au Japon, Maître Dôgen : (…) Tu donnes, mais tu n’attends rien en retour. Il faut donner simplement. A ce moment là, comme effet secondaire, il y a une réaction positive bien sûr, mais ce n’est pas cela qu’il faut rechercher. Le don sans attendre de retour… la générosité, la charité, tout cela fait partie du don.
- LA PAROLE AIMANTE, parler avec amour. Maître Dôgen nous dit qu’il faut parler aux gens avec cette idée que le Bouddha a donné sa vie, a consacré sa vie à s’occuper de tous les êtres qui souffrent, comme des bébés qu’il prend dans ses bras. Et d’une certaine façon, on se présente aux gens avec des paroles absentes d’agressivité, même si parfois on est sévère, car on peut fort bien dire quelque chose de très sévère à quelqu’un, mais avec amour.
- LA COMPASSION, agir pour le bien d’autrui. On peut dire que l’ensemble des quatre attitudes, dont je suis en train de parler, qualifie la compassion, la manifestation de la compassion d’une certaine façon. Tout se rejoint d’une certaine façon. Là aussi il faut agir pour le bien d’autrui sans en attendre de merci. On peut faire le bien de façon anonyme sans le claironner sur les toits, même à l’insu des gens et même parfois, en dépit d’eux. C’est l’exercice aussi de la sagesse de voir ce qui convient, mais c’est toujours agir. Lorsqu’on parle du bien ou du mal dans le bouddhisme, c’est toujours avec l’idée d’apporter aux personnes, non pas un bien matériel nécessairement, mais d’apporter le soulagement de ce mal-être, de cette grande douleur pour certaines personnes. C’est cela qui est « faire le bien ».
- L’EMPATHIE. L’empathie, veut dire « être en souffrance en même temps », selon l’étymologie du mot français, mais cela ne veut pas dire subir le problème de l’autre… C’est s’identifier à l’autre, justement pour permettre au message de mieux passer d’une certaine façon et de soulager. C’est tout cet ensemble d’attitudes et de paramètres que l’on appelle compassion.
S.C. Pouvez vous nous rappeler le vœu de bodhisattva ?
K.R. Il y a quatre vœux, mais le vœu d’altruisme, c’est celui-ci : « Innombrables sont les êtres. De les émanciper, je fais vœu. » Autrement dit, tant qu’il y aura une personne malheureuse qui ne trouve pas le chemin de la délivrance, de la paix parfaite de l’esprit pour aborder sa propre mort, le bodhisattva va continuer son œuvre.
Selon l’Aggañña Sutta, qui reprend un mythe explicatif de l’évolution1 du monde, celui-ci était à une époque très lointaine habité par des êtres ‘créés par leur propres pensées, nourris de joie, irradiant leur propre lumière, se mouvant dans l’espace’ (MW2). L’apparition de l’avidité va causer la disparition progressive de ces êtres subtils et affecter gravement l’environnement. Il arriva en effet qu’une ‘une terre savoureuse se répandit (à la) surface de l’eau (…). Cette terre savoureuse était pourvue d’une belle couleur, d’une bonne odeur et d’une bonne saveur. Sa couleur était comme celle du beurre fondu (…). Sa saveur était comme celle du miel sans défaut.’ (MW2). Lorsque les êtres se mirent à consommer cette substance avec une avidité croissante, leur corps subtil devint de plus en plus grossier, la terre savoureuse se fit de plus en plus rare. Avec la solidification des corps, des formes diverses apparurent, certaines belles, d’autres pas. Ainsi naquirent la vanité et le mépris. Après la disparition complète de la terre savoureuse, des champignons se mirent à pousser, puis diverses plantes comestibles qui toutes disparurent pour les mêmes raisons. La différenciation des sexes apparut et la reproduction sexuelle remplaça la naissance spontanée. Lorsqu’une forme de riz apparut, qui arrivait à maturité en une nuit, les humains se mirent à le stocker, afin d’éviter le labeur journalier. Mais la vitesse de croissance du riz ne suivait pas la demande liée au stockage. Pour éviter les conflits, la terre fut répartie entre les familles. Cette privatisation mise en place, certains, plus avides que d’autres, se mirent à s’approvisionner sur la terre du voisin. Ainsi, vol, violence et mensonge se répandirent dans la société. Il fut alors décidé d’élire un roi pour remettre de l’ordre, juger et punir les malfaiteurs. La société devint toujours plus complexe et compliquée, Le sol de plus en plus pauvre, le riz sauvage de plus en plus rare jusqu’à disparaître, comme les autres comestibles, et il fallut désormais travailler dur pour le faire pousser et le récolter. La dégénérescence morale eut donc non seulement des conséquences graves pour l’environnement mais également pour les humains et les êtres subtils.
- Et non pas ‘création’, le bouddhisme ne connaissant pas de ‘créateur’.
- Traduction française de l’Aggañña Sutta : Môhan Wijayaratna, Dīgha-nikāya, Tome III, LIS 2008, pp. 769 – 788