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Entretiens avec Matthieu Ricard :
Nouvelles Clés : « On entend parler beaucoup de spiritualité laïque. Cette notion a-t-elle un sens pour vous ? »
Matthieu Ricard : Bien sûr, et elle intéresse énormément le Dalaï-Lama, pour qui elle concerne au moins la moitié de l’humanité. De plus en plus de gens n’entretiennent plus le moindre rapport avec la religion de leurs ancêtres ou pratiquent encore, mais de façon tiède, sans croire à l’importance cruciale de ce qu’ils font, alors qu’ils continuent évidemment à avoir grand besoin de tendresse, de rapport compassionnel, de tolérance, d’amour… car ce sont là des dimensions vitales de la vie humaine. Les religions, elles, ne sont pas obligatoires. On peut vivre, et bien vivre, sans elles. L’amour, en revanche, on ne peut pas s’en passer. Il faut donc apprendre à le pratiquer et à transmettre cette pratique dans la vie de tous les jours. Être plus altruiste, plus en accord avec les membres de sa famille ou du lieu où l’on travaille. Voilà qui est essentiel.
Cela dit, il est évident que les religions sont destinées à élever l’amour et la compassion à un niveau plus haut, et à approfondir la connaissance de soi […]. Mais il ne faut pas en conclure pour autant qu’une spiritualité non religieuse, une ‘ spiritualité laïque ‘ comme vous dites, n’aurait pas de valeur : une bonne moitié de l’humanité en a même grand besoin et il faut l’aider à l’acquérir. […] Ce serait une erreur, je pense, de confondre laïcité et esprit anti-religieux. En réalité, les religions recherchent en partie le même but que l’humanisme laïc : ce sont les mêmes qualités en plus vaste. L’important est d’apprendre à vivre avec d’autres, à tolérer les différences, à porter secours à celui qui est dans le besoin. Bref, se mettre d’accord sur une éthique, une morale.
Nouvelles Clés : « Cependant, de plus en plus gens se présentant comme athées ou agnostiques disent éprouver le besoin d’aller au-delà de la morale, celle-ci leur apparaissant comme un horizon limité. Comme s’il y avait un besoin de transcendance – même sans religion ni Dieu. »
Matthieu Ricard : La morale, est un aspect essentiel de la connaissance de la nature humaine, de la souffrance et des moyens de l’atténuer, voire de l’arrêter. Si, dans ma pratique de vie quotidienne, je parviens à comprendre que tout ce que je fais à autrui, je me le fais à moi-même, j’opère déjà un grand progrès dans la voie de l’action. Par la seule morale, je peux apprendre à exercer mon sens du jugement, pour distinguer ce qui me tourmente et ce qui m’apporte la paix, et donc mieux me connaître. «
[…] Comment un bouddhiste ne comprendrait-il pas ça ? Le Dharma est entièrement basé sur l’expérience intérieure, qui est une recherche éminemment profonde et difficile, et ne fait jamais appel à un démiurge, à un Dieu personnel. Sur ce plan, ce n’est pas très étonnant que beaucoup de nos contemporains éprouvent de la sympathie pour le bouddhisme.
On sent une certaine prise de conscience. L’immense soif de confort matériel qui habite les Occidentaux a atteint une limite. On se rend compte que ce n’est pas ça le bonheur – d’où un certain désarroi, car l’essentiel des vies occidentales est bien tourné vers le confort, qui fait négliger aux gens beaucoup d’autres aspects de la vie. Les Occidentaux redécouvrent aujourd’hui que seule une recherche intérieure peut vous apporter le bonheur. Cette quête intérieure peut s’inscrire dans une religion, mais pas nécessairement.
In : Revue « Nouvelles Clés » n° 19, repris dans http://www.unisson06.org/dossiers/spiritualite/spiritualite_laique.htm
Comparez les propos du Dalaï-Lama sur le même sujet dans l’article Religions / Spiritualité.