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« La vraie aventure de vie, le défi clair et haut n’est pas de fuir l’engagement mais de l’oser. Libre n’est pas celui qui refuse de s’engager. Libre est sans doute celui qui ayant regardé en face la nature de l’amour – ses abîmes, ses passages à vide et ses jubilations – sans illusions, se met en marche, décidé à en vivre coûte que coûte l’odyssée, à n’en refuser ni les naufrages ni le sacre, prêt à perdre plus qu’il ne croyait posséder et prêt à gagner pour finir ce qui n’est coté à aucune bourse : la promesse tenue, l’engagement honoré dans la traverse sans feintes d’une vie d’homme. » – Christiane Singer, Éloge du mariage, de l’engagement et autres folies
[Dans le cadre de] « la production d’OGM par les firmes transnationales de l’agroalimentaire [on] constate de nombreuses infractions à l’éthique la plus élémentaire. Les agriculteurs sont chaque année davantage dépendants de semences OGM imposées par les firmes. Les études toxicologiques sont rarement confiées à des laboratoires scientifiques indépendants et de puissantes organisations comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et les lobbies agroalimentaires poussent les institutions politiques chargées de légiférer à se soumettre aux volontés des sociétés transnationales[1]. La falsification ou la non-publication des résultats des études d’impact à long terme des plantes OGM sur la santé publique, le désastre économique provoqué par ce type de culture en Inde[2] où des milliers d’agriculteurs ont été ruinés et poussés au suicide : tout indique à quel point il est urgent de penser une éthique globale pour faire contrepoids aux appétits financiers des semenciers en passe de gagner le contrôle du marché mondial de l’alimentation.
La thérapie génique elle-même, qui suscite de grands espoirs pour la guérison de maladies difficiles à éradiquer comme le diabète ou des maladies génétiques rares, ne doit pas masquer les dangers contenus dans le dérèglement du matériel génétique transmis aux générations futures. Quant au séquençage des gènes, qui permet de révéler les gènes défectueux susceptibles de déclencher une maladie génétique chez l’être humain, il pourrait devenir un redoutable outil discriminatoire dans le domaine des assurances privées et sur le marché du travail.
La production d’êtres sensibles clonés ne pose certes pas le problème de leur identité : ce sont des êtres à part entière comme tout autre être[3]. Mais précisément pour cette raison, tout être issu d’un clonage devrait bénéficier du même respect qu’un autre être vivant. L’éthique bouddhiste s’élève contre la prétention de l’homme à exercer sa primauté sur les autres êtres vivants. Le clonage sélectif des meilleurs spécimens génétiques d’une espèce animale pour en faire un élevage industriel ne peut qu’amplifier l’horreur planifiée qui règne dans les élevages intensifs. Toujours plus chosifié, l’animal est devenu une marchandise optimisée pour la consommation de masse. La production d’OGM et le clonage industriel mettent en péril la biodiversité déjà atteinte par les dégradations dramatiques de l’environnement. L’éthique bouddhique, en s’appuyant sur la coproduction conditionnelle et la non-violence, implique le respect du vivant sous toutes ses formes. L’homme s’est octroyé un pouvoir excessif sur la vie dont il devra tôt ou tard assumer pleinement les conséquences.
Le clonage dit thérapeutique pose également de graves problèmes. Il s’agit en effet de la manipulation d’un blastocyste humain, c’est-à-dire d’un embryon porteur de vie humaine, soit pour en extraire, en le détruisant, des cellules dites totipotentes dans un but thérapeutique, soit pour l’implanter dans un utérus afin de produire des êtres humains clonés. Or du point de vue bouddhique, un blastocyste n’est pas un simple matériel génétique, mais un embryon, c’est-à-dire un être humain vivant doué d’esprit. Alors même qu’il prétend viser la guérison d’autres êtres humains, ce type de clonage va à l’encontre du respect de la vie humaine.
Au fond, dans toutes ces questions de génie génétique, le bouddhisme fait ressortir un problème éthique rarement évoqué, parce que passant inaperçu, celui de la violence exercée à l’égard du vivant. En effet, aussi bien la manipulation d’embryons vivants que l’éventualité de graves dégâts occasionnés dans le génome des êtres sont en lien direct avec le non-respect du premier précepte bouddhique qui préconise de « s’efforcer de ne pas attenter au principe vital ». Si manipuler le matériel génétique du vivant est susceptible d’aboutir à sa détérioration, le bouddhisme nous invite à réfléchir et à réagir en termes de « non-violence à l’égard du vivant ».
En outre, il est évident que le réductionnisme scientifique porte directement atteinte au respect du vivant et de l’être humain. Si l’on réduit l’essence du vivant au génome – lequel n’est au fond que le produit d’une longue élaboration biochimique au cours du temps -, elle perd tout caractère sacré ou inviolable. En conséquence, plus rien ni aucune morale n’empêche de le manipuler à volonté, ce qui laisse planer la perspective de dérives totalitaires inquiétantes.
Philippe Cornu, Le bouddhisme, une philosophie du bonheur ?, Le Seuil, 2013, pp. 255 – 257
[1] Le codex alimentarius préconisé par l’OMS, où l’agroalimentaire cherche à imposer une liste limitative et légale des semences et des aliments autorisés pour la consommation de l’homme, est en projet dans les sphères politiques au prétexte de fournir une production alimentaire suffisante pour nourrir l’ensemble des êtres humains. Or un tiers de la consommation mondiale de nourriture (1,3 milliard de tonnes) est gaspillé chaque année, ce qui, mieux géré, suffirait à résoudre le problème de la faim dans le monde … sans faire intervenir les OGM.
[2] Lire à ce propos Vandana Shiva, une universitaire scientifique indienne qui lutte contre la marchandisation du vivant et se consacre aux questions d’environnement (prix Nobel alternatif 1993) : La vie n’est pas une marchandise – la dérive des droits de propriété intellectuelle, Paris, éditions de l’Atelier, 2003.
[3] Même si plusieurs êtres vivants nés au même moment ont les mêmes caractéristiques génétiques, leur psychisme conservera toujours une singularité car ils ne peuvent occuper le même espace simultanément. Leurs perceptions et leur vécu seront nécessairement différents, et leur caractère singulier ne fait aucun doute.
Entretiens avec Matthieu Ricard :
Nouvelles Clés : « On entend parler beaucoup de spiritualité laïque. Cette notion a-t-elle un sens pour vous ? »
Matthieu Ricard : Bien sûr, et elle intéresse énormément le Dalaï-Lama, pour qui elle concerne au moins la moitié de l’humanité. De plus en plus de gens n’entretiennent plus le moindre rapport avec la religion de leurs ancêtres ou pratiquent encore, mais de façon tiède, sans croire à l’importance cruciale de ce qu’ils font, alors qu’ils continuent évidemment à avoir grand besoin de tendresse, de rapport compassionnel, de tolérance, d’amour… car ce sont là des dimensions vitales de la vie humaine. Les religions, elles, ne sont pas obligatoires. On peut vivre, et bien vivre, sans elles. L’amour, en revanche, on ne peut pas s’en passer. Il faut donc apprendre à le pratiquer et à transmettre cette pratique dans la vie de tous les jours. Être plus altruiste, plus en accord avec les membres de sa famille ou du lieu où l’on travaille. Voilà qui est essentiel.
Cela dit, il est évident que les religions sont destinées à élever l’amour et la compassion à un niveau plus haut, et à approfondir la connaissance de soi […]. Mais il ne faut pas en conclure pour autant qu’une spiritualité non religieuse, une ‘ spiritualité laïque ‘ comme vous dites, n’aurait pas de valeur : une bonne moitié de l’humanité en a même grand besoin et il faut l’aider à l’acquérir. […] Ce serait une erreur, je pense, de confondre laïcité et esprit anti-religieux. En réalité, les religions recherchent en partie le même but que l’humanisme laïc : ce sont les mêmes qualités en plus vaste. L’important est d’apprendre à vivre avec d’autres, à tolérer les différences, à porter secours à celui qui est dans le besoin. Bref, se mettre d’accord sur une éthique, une morale.
Nouvelles Clés : « Cependant, de plus en plus gens se présentant comme athées ou agnostiques disent éprouver le besoin d’aller au-delà de la morale, celle-ci leur apparaissant comme un horizon limité. Comme s’il y avait un besoin de transcendance – même sans religion ni Dieu. »
Matthieu Ricard : La morale, est un aspect essentiel de la connaissance de la nature humaine, de la souffrance et des moyens de l’atténuer, voire de l’arrêter. Si, dans ma pratique de vie quotidienne, je parviens à comprendre que tout ce que je fais à autrui, je me le fais à moi-même, j’opère déjà un grand progrès dans la voie de l’action. Par la seule morale, je peux apprendre à exercer mon sens du jugement, pour distinguer ce qui me tourmente et ce qui m’apporte la paix, et donc mieux me connaître. «
[…] Comment un bouddhiste ne comprendrait-il pas ça ? Le Dharma est entièrement basé sur l’expérience intérieure, qui est une recherche éminemment profonde et difficile, et ne fait jamais appel à un démiurge, à un Dieu personnel. Sur ce plan, ce n’est pas très étonnant que beaucoup de nos contemporains éprouvent de la sympathie pour le bouddhisme.
On sent une certaine prise de conscience. L’immense soif de confort matériel qui habite les Occidentaux a atteint une limite. On se rend compte que ce n’est pas ça le bonheur – d’où un certain désarroi, car l’essentiel des vies occidentales est bien tourné vers le confort, qui fait négliger aux gens beaucoup d’autres aspects de la vie. Les Occidentaux redécouvrent aujourd’hui que seule une recherche intérieure peut vous apporter le bonheur. Cette quête intérieure peut s’inscrire dans une religion, mais pas nécessairement.
In : Revue « Nouvelles Clés » n° 19, repris dans http://www.unisson06.org/dossiers/spiritualite/spiritualite_laique.htm
Comparez les propos du Dalaï-Lama sur le même sujet dans l’article Religions / Spiritualité.
(…) Aucun texte canonique ou traditionnel n’a prévu ce cas de figure – pas plus dans le bouddhisme que dans tout autre courant religieux d’ailleurs. Il existe toutefois une base textuelle et des points doctrinaux ou éthiques énoncés dans les sûtra canoniques et les traités (shâstra) sur lesquels les bouddhistes peuvent s’appuyer : la loi du karman, la coproduction conditionnelle, les préceptes de l’éthique et les conseils concernant la compassion.
Le génie scientifique intervient désormais au niveau le plus intime de la vie, celui du génome, de l’ADN et de l’ARN qui, dans les cellules vivantes, programment toutes les activités biochimiques et par là même toutes les évolutions, mutations et adaptations d’un organisme vivant. Actuellement, les progrès de la génétique touchent aussi bien les espèces végétales – point clé de l’alimentation humaine et animale – que le monde animal et l’être humain. Selon la coproduction conditionnelle, on peut prédire que toute modification artificielle des causes et conditions les plus profondes au sein des cellules aura nécessairement des conséquences sur l’ensemble des phénomènes de la vie sur terre, soit dans l’immédiat soit à long terme, sans que l’on soit capable de prévoir de façon certaine quelle sera leur nature tant les facteurs intervenant sont nombreux. Par ailleurs, selon la loi du karman, le caractère favorable ou défavorable d’un acte dépend de l’intention mentale qui y préside. Autrement dit, l’application d’une découverte scientifique dépend de l’intention qui anime les scientifiques, techniciens et décideurs économiques ou politiques impliqués. Enfin, l’éthique de la compassion nous invite à déployer des efforts désintéressés pour soulager la souffrance d’autrui, et si possible améliorer ses conditions d’existence. Elle nous exhorte à ne développer que des activités altruistes destinées à combattre la souffrance. En somme, toute recherche n’a de valeur éthique que si elle poursuit des objectifs altruistes.
(…) Ce ne sont donc pas les découvertes scientifiques elles-mêmes qui posent problème, mais leurs applications quand elles modifient ou bouleversent les conditions de notre existence. Dans le cas du génie génétique et des techniques de manipulation, les motivations de leurs acteurs et décideurs sont-elles justes, mitigées ou franchement dépourvues de tout souci éthique ? Veut-on éliminer la souffrance humaine – quitte à dégager du même coup des profits financiers, ou bien les objectifs sont-ils avant tout financiers, au mépris de toute considération éthique ? Les faits, bien souvent, parlent d’eux-mêmes : les brevets systématiquement déposés par les entreprises transnationales agroalimentaires sur des gènes spécifiques, sur les semences d’organismes génétiquement modifiés (OGM) ou sur des variétés de semences sélectionnées relèvent d’une stratégie de mainmise sur des espèces vivantes végétales et animales. Étant donné le coût des recherches, on ne mettrait sans doute guère à l’œuvre des manipulations génétiques si elles ne débouchaient pas sur une industrie lucrative. Le matériel génétique – cœur même du vivant – devient alors une marchandise au détriment de toute considération morale. La préoccupation des bouddhistes contemporains est de remettre l’éthique au centre des préoccupations humaines. Mis à part les bénéfices de quelques firmes transnationales, et le renforcement de notre confiance dans la puissance de la science, quels seront les bienfaits réels ou les souffrances que l’humanité et les êtres vivants récolteront au bout du compte ? En cas de doute sur les conséquences de nos décisions actuelles, doit-on poursuivre ces expérimentations ? (…)
Ph. Cornu, Le bouddhisme, une philosophie du bonheur ?, Le Seuil, 2013, pp. 252 – 4
Aurélie Godefroy : Alors que nous voulons être responsable, engagé dans le développement et la transformation de notre propre vie, nous avons souvent du mal à délaisser un certain nombre d’habitudes qui nous limitent, nous bloquent et peuvent entraîner par là même une certaine souffrance. Comment, concrètement, arriver à lâcher prise ? Et d’abord, qu’est-ce que le lâcher-prise ?
Martine Batchelor : Je pense qu’il faut voir le lâcher-prise par rapport à son opposition, qui est un certain accrochage, un certain agrippement. Et donc le lâcher prise serait le relâchement de cet agrippement. Laissez-moi vous donner un exemple. Disons que ceci (un stylo bille) est quelque chose de très précieux. Il m’appartient, je n’aime pas trop le partager et donc je le tiens fermement, comme ça (M.B. serre le poing autour du stylo à bille).
Quand je fais ça, deux choses se passent : d’abord, j’attrape une crampe dans le bras. Donc, il est important de voir que, dès qu’on s’agrippe à quelque chose, cela crée de la tension dans notre vie. Mais il y a une deuxième chose, beaucoup plus importante à mon sens. C’est que, parce que je m’accroche au stylo, je ne peux pas utiliser ma main. Et donc je suis réduit à ce à quoi je m’accroche, je suis limitée par mon ‘accrochage.’ Je dirais que la méditation nous aide, non pas à nous débarrasser de la main, ou de l’objet, mais à ouvrir la main. Le lâcher-prise, c’est cette ouverture, ce relâchement, ce ‘désagrippement’.
A.G. : Ce qui suppose également un certain effet de détente, et peut-être aussi un peu l’abandon de la saisie égotique, du Moi, du Je. En quoi est-ce important de réaliser que le « Je » ne doit pas prendre toute la place, même si c’est un peu ce qui nous conditionne depuis l’enfance ?
M.B. : En fait je regarderais cette histoire du « Moi », du « Je » d’une façon différente. Il faut voir que, souvent, lorsqu’on s’accroche, on s’identifie. Il y a deux choses : d’une part l’accrochage, le contact avec quelque chose, et, d’autre part, le fait de dire : c’est mon problème, c’est mon mal de tête, ça m’arrive à moi. Dès qu’on s’accroche, on s’identifie, on se solidifie, on se limite à ce à quoi on s’accroche, et on l’amplifie. On a alors l’impression que le Moi est entièrement ‘pris’ par cette chose à quoi on s’agrippe.
Alors que le Moi est multiple. Ce n’est pas qu’une pensée, qu’une émotion, qu’une sensation, qu’un problème. Par exemple, récemment, j’écrivais un livre. Je fais des corrections sur l’ordinateur. À un moment donné, je fais une erreur de manipulation et … mes corrections de quinze jours disparaissent à jamais. Ma première pensée, c’est : « Je suis stupide ». C’est ce qu’on se dit souvent : « Je suis stupide. J’ai toujours été stupide. Je serai toujours être stupide. Je ne vais pas pouvoir écrire mon livre. » Au lieu de cela, je me suis dit : « J’ai fait une erreur. Il faut que j’apprenne de cette erreur et que je ne la répète pas. » Que j’aie fait cette erreur ne veut pas dire que je suis stupide tout le temps. Il faut voir que, lorsqu’on s’accroche, généralement, on exagère, on amplifie. Et, en même temps, on s’identifie.
D’après Sagesses Bouddhistes, Méditation et lâcher prise, France 2, 16 mars 2008