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« Alors, où peut se cacher ce ‘soi permanent’ qui serait à l’abri des changements constants qui caractérisent toutes les forces psychiques et physiques décrites dans le cadre des cinq ‘agrégats’. (…) Il est vrai que la plupart des visions non bouddhistes du phénomène de l’homme proposent l’idée d’une âme ou d’un principe spirituel individualisé. Cette ‘âme’ gouvernerait en quelque sorte le tout et continuerait à exister même après la désagrégation, au moment de la mort, des aspects matériels et psychiques de l’individu. Selon les bouddhistes pourtant, cette affirmation est tout à fait gratuite et reflète davantage nos désirs illusoires que la réalité. Pour eux, toutes sortes de ‘cris du cœur’ jaillissent ainsi de l’attachement à l’existence de ce ‘soi permanent’ et montrent à quel point l’homme est prisonnier de cette illusion : ‘JE veux ceci !’ ‘J’ai raison !’ ‘VOUS avez tort !’ ‘C’est le MIEN’… Et ce ‘je’ est beaucoup plus qu’un pronom qui désignerait la combinaison d’agrégats dont parlent les bouddhistes.

(…) Le ‘je’, comme tous les autres phénomènes, est, selon la terminologie bouddhiste, ‘conditionné’. Il est nécessaire de dire ici que ce terme n’a aucune relation avec le chien de Pavlov qui, lui, est ‘conditionné’, mais à réagir d’une manière bien déterminée dans des circonstances bien définies. (…) Si j’en parle ici, c’est parce que la première fois que certains de mes étudiants entendent ce mot ‘conditionné’ ou le lisent dans des livres sur le bouddhisme, ils pensent à ce pauvre chien. En réalité, dire que tout être est ‘conditionné’, c’est simplement une autre manière d’affirmer que rien n’existe en soi, c’est-à-dire que rien n’existe indépendamment de l’ensemble des phénomènes qui constituent le monde dans lequel se trouve l’individu. »

 

Dennis Gira, Le bouddhisme à l’usage de mes filles, Seuil, 2000, pp. 95-97

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« Selon l’explication classique, l’homme, c’est-à-dire l’individu, n’est qu’une combinaison de forces ou d’énergies physiques et psychiques entremêlées et en perpétuel changement. (Cette combinaison qui existe à dix heures, par exemple, et que nous appelons Paul, ne sera pas la même à dix heures plus une minute.) Les forces en question sont divisées en cinq groupes ou ‘agrégats’, pour utiliser le terme employé habituellement pour traduire un mot technique des textes anciens. Ce qui nous intéresse ici, c’est de voir quelles sont les diverses forces qui constituent l’individu et la raison pour laquelle un individu ainsi composé ne peut être ni permanent ni avoir d’existence propre (c’est-à-dire d’existence indépendante des autres existences). (…)

Le premier groupe comprend tout ce qui, dans l’individu, est d’ordre matériel. C’est la ‘corporéité’. Il s’agit des quatre grands éléments – la terre, l’eau, le feu, le vent – qui symbolisent la solidité, la liquidité, la chaleur et le mouvement. Ce groupe comprend également la matière dérivée, comme les organes sensoriels (par exemple, l’œil et le nerf optique) et les objets de ces organes (la couleur, la forme que l’œil voit). La question qui se pose est la suivante : ‘Est-ce qu’il y a quelque chose dans ce groupe qui ne soit pas impermanent, c’est-à-dire qui ne soit pas constamment en train de changer ?’ La réponse est ‘non’ (…). Il n’y a pas une seule cellule de notre corps, par exemple, qui ne se modifie à chaque instant qui passe. L’hypothèse de l’impermanence tient bon jusque-là.

Le deuxième groupe est celui des sensations. Les bouddhistes font un inventaire de toutes les sensations imaginables – agréables, désagréables ou neutres – qui résultent du contact des organes physiques avec leurs objets (le froid par exemple, qui résulte du contact de la peau avec l’eau du torrent). Parmi ces sensations, pensez-vous qu’il puisse y avoir quelque chose de permanent ? Encore une fois, il n’est pas besoin de réfléchir trop longtemps pour comprendre que la réponse ne peut être que ‘non’. Toute sensation dépend d’un organe matériel et ne peut donc pas échapper à l’impermanence qui caractérise tout ce qui est matériel. Vous entrevoyez là comment et pourquoi tout est interdépendant dans la vision bouddhiste des choses.

Quand nous arriverons au troisième groupe, c’est-à-dire à l’agrégat des perceptions, nous ne trouverons rien non plus qui puisse contredire la position bouddhiste concernant l’impermanence. En effet, toute perception, qui est en quelque sorte le fait de ‘nommer’ une sensation, dépend d’une manière ou d’une autre de cette sensation. Les notions de couleur, de son, d’odeur, de saveur…, et toutes les images mentales, changent selon les circonstances dans lesquelles se produit le contact entre un organe sensoriel et un objet. Vous en avez fait l’expérience mille fois. Pensez à la chaleur de cet été à Las Vegas : elle vous accablait au sortir des lieux à air conditionné. Pourtant, cette ‘chaleur’ vous aurait semblé rafraîchissante si vous l’aviez comparée à celle dont vous avez fait l’expérience le jour où nous nous sommes promenés quelques minutes dans le désert de la vallée de la Mort, il y a une dizaine d’années. Ce n’est donc pas dans cet agrégat non plus qu’on peut trouver quelque chose de permanent.

Ensuite il y a l’agrégat de la ‘volition’ ou des compositions psychiques. Il comprend tout acte volontaire, toute impulsion, toute émotion consciente ou refoulée. Ici encore, tout est toujours en train de se modifier parce que tout dépend, directement ou indirectement, des organes sensoriels, des sensations et des perceptions.

Enfin, il y a l’agrégat de la conscience ou de la connaissance. Il serait peut-être plus exact de parler des consciences, car dans le bouddhisme, pour chaque organe, il existe une conscience : la conscience de l’œil, la conscience de l’oreille, etc. On place également la conscience ou la connaissance mentale dans ce groupe. Vous serez peut-être tentées de chercher là, dans la conscience, ce qui échappe à l’impermanence. Or c’est là, en réalité, que l’homme est, pour ainsi dire, le moins permanent. Car les données innombrables qui entrent dans la conscience à travers les contacts avec le monde, les diverses sensations… font qu’elle se modifie elle aussi à chaque instant. »

 

Dennis Gira, Le bouddhisme à l’usage de mes filles, Seuil, 2000, pp. 92-95

A partir du lundi 26 janvier, le zendô sera ouvert sur le temps de midi du lundi au vendredi.

12h: ouverture du zendô

12h15-12h45: zazen

Les personnes qui le souhaitent peuvent manger leur pique-nique sur place. Afin de préserver l’esprit de la méditation, nous vous proposons un repas silencieux précédé du « soutra des repas ».

13h30: fermeture du zendô

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Pour les zazens du midi, la participation financière est laissée à votre appréciation (tire-lire dans le zendô).

En cas de fermeture exceptionnelle, vous serez informé(e) par la voie de ce blog. N’hésitez donc pas à vous abonner pour recevoir ces informations par e-mail !!!

« Qu’est-ce qu’une ‘bonne vie’ ? Nous pouvons dire : ‘Voilà une bonne voiture’ ou : ‘Voilà une belle œuvre d’art’ parce que nous avons conscience de leur qualité, mais qu’est-ce qu’une vie de qualité ? Le Bouddha a clairement souligné que avijja, l’ignorance, était la principale cause du manque de qualité dans notre vie. ‘Ignorance’ ici ne signifie pas un manque de connaissances en mathématiques ou en physique ; il s’agit du manque de connaissance des choses telles qu’elles sont réellement, c’est-à-dire du sens réel de notre vie. Son contraire, vijja, signifie s’intéresser profondément à notre condition humaine, développer un esprit curieux et pénétrant pour comprendre la vie. Qu’est-ce que ce corps ? Qu’est-ce que cet esprit ? Que sont les sensations, les sentiments, les perceptions, les pensées ? Qu’est-ce que la conscience sensorielle ? Où est notre individualité ?

L’une des choses qui nous permet de nous intéresser à la vie, au lieu de nous laisser pousser au gré des événements, consiste à prendre conscience du fait que nous sommes mortels. Il y a des choses qui sont irréfutables pour tous et l’une d’entre elles est que, dans la mesure où nous sommes nés, nous vieillissons chaque jour et un jour nous mourrons. La vie humaine passe de la naissance au vieillissement, à la maladie et à la mort. Mais le fait est que, à moins de nous engager profondément dans une voie spirituelle, nous réfléchissons rarement à cette évidence.

Or ne pas réfléchir à ces choses a une grande influence sur nos valeurs, nos choix et nos intérêts dans la vie. Les choses que nous aimons et que nous détestons sont conditionnées par l’absence de prise en compte de notre mortalité. C’est quand nous sommes pleinement conscients que la mort nous guette que chacune de nos actions prend son sens et sa dignité. On croit souvent que la vie n’a pas de sens parce que nous sommes mortels mais, en réalité, la vie a du sens parce qu’elle peut s’arrêter n’importe quand. Si nous sommes conscients du fait que la vie est brève, fragile et précieuse, nous voyons que nous n’avons pas le temps de nous complaire dans des humeurs capricieuses, des émotions mesquines, des jalousies ridicules et des colères intempestives. Par contre, quand nous oublions que nous risquons de mourir à tout moment, nous permettons à tous ces sentiments d’envahir notre esprit au point que nous perdons toute notion de ce qui est et de ce qui n’est pas important.

Le monde humain offre tout un panel d’émotions plus ou moins agréables mais qui ont toutes le pouvoir de nous enseigner le Dhamma, c’est-à-dire la vérité de l’impermanence — l’instabilité et l’insécurité inhérentes à la vie humaine — et du non-soi. En tant qu’êtres humains, nous avons la capacité de nous poser, de regarder autour de nous, d’apprendre de nos expériences et de réaliser la Vérité. Cette vie humaine est extrêmement précieuse car nous pouvons l’employer à transcender toute souffrance et tout le cycle des renaissances. En réponse à ce don de vie, nous pouvons apporter une grande attention à nos actes : notre manière d’agir dans le monde physique et dans l’univers social qui est le nôtre, ainsi que notre manière d’utiliser notre esprit et notre faculté de sagesse.

Les enseignements du Bouddha proposent un entraînement à sila (les vertus morales), samadhi (la méditation de la concentration qui apporte le calme du mental) et pannya (la sagesse). C’est un programme d’éducation pour toute la vie, que nous poursuivons jusqu’à notre dernier souffle. A chaque occasion, en toutes situations, nous nous efforçons d’agir et de parler de manière à exprimer la bonté, la sagesse et la compassion et nous continuons sans cesse à développer ces nobles qualités dans notre cœur.

Le Bouddha a enseigné quatre qualités fondamentales ou « demeures divines » (brahmavihara). La première est metta, un sentiment de gentillesse et de bienveillance envers tous les êtres. La seconde est karuna, la compassion que l’on ressent naturellement quand on prend conscience de la souffrance à laquelle doivent faire face tous les êtres vivants. Ensuite vient mudita, le fait de se réjouir du bonheur des autres — sentiment qui élève le cœur, au contraire de la jalousie. Et puis upekha, l’équanimité, le calme de l’esprit : savoir accepter que l’on ne peut pas toujours aider autrui mais rester présent et disponible si jamais l’occasion se présente de le faire.

En cultivant ces vertus et en étant conscients de notre mortalité, au lieu de réagir aux situations et aux idées erronées que nous entretenons sur qui nous sommes, et comment nous voulons être perçus, nous pouvons nous laisser guider par notre bonne volonté et notre sensibilité, et ressentir ce qu’il est juste et approprié de faire ou de dire en toutes circonstances. »

 

Vénérable Ajahn Jayasaro, disciple du Vénérable Ajahn Chah, Tradition de la Forêt

Extrait d’un enseignement donné au monastère international de Wat Pah Nanachat

(Thaïlande), le 10 mai 2000, in : http://www.dhammadelaforet.org (Tr. Jeanne Schut)

Un des axes de pratique et de réflexion de Shikantaza est d’encourager le dialogue interreligieux, notamment par la lecture1 et les conférences2. Il ne s’agit pas de « faire » du dialogue à tout crin, à tout prix, mais de saisir toute occasion de rencontre lorsque celle-ci se présente naturellement. Et de diffuser la parole de celles et ceux qui, dans d’autres traditions, partagent un même souci d’un vivre-ensemble fécond dans le respect et la fraternité.

En tant que Président de l’UBB, j’ai eu la chance de rencontrer des personnes généreuses, à l’esprit ouvert, issues de toutes les grandes traditions religieuses ou philosophiques. Parmi elles, dans les coulisses de « Controverses », Éric De Beukelaer, à l’époque porte-parole de la Conférence des évêques de Belgique. Il signe dans Le Soir de ce 14 janvier une carte blanche sur les récents événements tragiques en France.

1 http://www.shikantaza.be/lectures/83-livres-d-introduction-3).

2 http://www.shikantaza.be/lectures/80-conferences

Respecter les sensibilités religieuses: pas au nom de la peur

Eric De Beukelaer, le curé-doyen de Liège rive-gauche, explique pourquoi, en tant que croyant, il respecte la caricature de Dieu.

 Parmi les églises du centre de Liège dont je suis curé, il y a la splendide collégiale Saint-Jacques. Ses stalles gothiques du quatorzième siècle sont représentatives de l’art décoratif du Moyen Âge, avec des miséricordes et des parcloses aux représentations satiriques. Ma préférée est celle d’un petit singe portant la mitre. Preuve que les aïeux de Charb et Cabu travaillaient au cœur même des édifices religieux. Les choses ont-elles changé? Ce vendredi matin, je me retrouve à la sacristie de la cathédrale de Liège avant l’office du matin. L’actualité parisienne plombe l’ambiance. Pour dérider l’atmosphère, je raconte la blague qu’Alex Vizorek lança quelques minutes plus tôt sur les ondes de la radio RTBF Première. Evoquant la visite d’Angela Jolie au Vatican, ce diablotin ponctua: «Au lendemain de l’attentat, le pape reçoit une bombe.» Franc éclat de rire de la part de mes confrères chanoines à la moyenne d’âge plus que canonique. Pas mort, le sens de l’humour de ces vénérables ecclésiastiques.

Est-on pour autant obligé de rire de tout? Non, bien sûr. Pierre Kroll – avec qui j’échange régulièrement et dont j’apprécie l’humour – sait que j’ai du mal à rire de ses caricatures du Christ en croix. Sans doute que cela remue en moi une fibre trop sensible. Y pense-t-il en taillant ses crayons? Je ne sais. Mais jamais je n’inviterai à le censurer. Alors que dire de la une de Charlie Hebdo, en plein débat sur le mariage homosexuel, avec un dessin des trois Personnes de la Trinité en train de se sodomiser l’une l’autre? Cela ne me fait pas rire, mais dois-je pour autant me mettre en colère – voire devenir violent? Négatif. D’abord parce que je suis démocrate et que la liberté d’expression est un des socles de notre Etat de droit. Ensuite parce que je suis croyant et que je ne puis concevoir que Dieu soit affaibli ou offensé par pareille grivoiserie potache.

Les assassins de Charb, Cabu et leurs frères de plumes croyaient avoir vengé le prophète de l’islam. En réalité, ils avaient une image bien falote du Très-Haut. Ahmed Merabet, le policier abattu à bout portant devant le journal satirique, a quant à lui rendu un véritable hommage de croyant musulman. Alors oui, la satire de Charlie Hebdo est corrosive et, à l’époque des caricatures du prophète, j’étais de ceux qui invitaient au respect des sensibilités religieuses. Mais pas au nom de la peur.

S’il est parfois utile et civique de mettre un frein à sa langue pour ménager son voisin, il est grave de se forcer à le faire par peur de représailles. Charlie Hebdo, c’est l’esprit de Voltaire. Incisif et parfois même injuste – mais vif. Et comme le dit si bien la phrase attribuée à Voltaire, mais qu’il n’a jamais dite: «Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire.» Si je ne me reconnais guère du style d’expression de Charlie Hebdo, je refuse donc qu’il soit contraint au silence par le bruit des kalachnikovs. Tel est mon credo de démocrate et plus encore de croyant. Voilà pourquoi, avec tant d’autres croyants de toutes traditions et autant d’agnostiques ou d’athées, j’ai scandé depuis mercredi dernier et scanderai encore: «Je suis Charlie».

Le Soir, 14 janvier 2015

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