« J’essaie d’indiquer ici qu’il existe un grand débat sur la nature exacte de l’éveil. Fondamentalement, du point de vue bouddhiste, la nature de la libération véritable et de la liberté spirituelle doit être comprise comme une qualité de l’esprit, une liberté à l’encontre des aspects négatifs et de la pollution de l’esprit.

Selon Chandrakirti, célèbre maître indien de l’école de la Voie du Milieu, la libération ou la délivrance véritables ne peuvent survenir que sur la base de la compréhension de la nature ultime de la réalité, c’est-à-die la vacuité. Nous nous trouvons ici en présence d’une conception plus fine du nirvana, émergeant d’une profonde compréhension de la vacuité. C’est l’intuition de la nature ultime de la vacuité qui permet d’éliminer la pollution mentale. De surcroît, notre ignorance de cette nature ultime de la réalité se trouve à la racine de nos méconnaissances, de nos confusions et de nos illusions. Finalement, c’est la vacuité de l’esprit en son état parfait qui représente la vraie libération. Ainsi, la base de la vraie libération est la vacuité ; l’illumination par laquelle nous éliminons nos confusions est celle de la vacuité. Le stade final, parfait, grâce auquel nous obtenons la libération est la vacuité de l’esprit.

Lorsque nous disons que la nature ultime de l’esprit est la libération, nous n’évoquons pas la nature ultime de l’esprit en général, mais le stade auquel l’individu parvient en surmontant les polluants et les aspects négatifs de son esprit. La délivrance véritable comporte deux dimensions : l’une, la libération totale à l’égard des polluants mentaux, et l’autre, la libération totale de l’existence inhérente. Nous pouvons l’illustrer par le premier verset de la Sagesse fondamentale de la Voie du Milieu (Mulamadhyama-kakarika) de Nagarjuna[1] :

 

Je me prosterne devant le Bouddha Parfait,

Le meilleur maître, qui enseigna que

Tout ce qui est dépendant-émergeant est

Incessant, non né,

Non annihilé, non permanent,

Sans aller ni venir,

Sans distinction, sans identité,

Libre de construction conceptuelle.

 

Nagarjuna rend hommage au Bouddha en disant que le Bouddha a enseigné le principe de la dépendance originelle et de la vacuité. Il décrit la délivrance comme la pacification totale de toute élaboration conceptuelle ; quand toute élaboration conceptuelle sera pacifiée, il y aura une délivrance véritable. »

 

SS le Dalaï-Lama, Transformer son esprit, Le Livre de Poche, 2002, pp. 61-62


[1] Autres traductions (note MM)

« Hommage aux bouddhas / Qui, enseignant l’interdépendance / – Pas de mort ni de naissance, / Ni néant ni éternité, / Ni arrivée ni départ, / Ni identité ni différence -, / Apaisent les fixations. » (Stephen Batchelor, Versets jaillis du centre, Kunchab 2002, p. 67)

« Sans rien qui cesse ou se produise, sans rien qui soit anéanti ou qui soit éternel, sans unité ni diversité, sans arrivée ni départ, telle est la coproduction conditionnée, des mots et des choses apaisement béni. Celui qui nous l’a enseignée, l’Éveillé parfait, le meilleur des instructeurs, je le salue. » (Guy Bugault, Stances du milieu par excellence, Gallimard 2002, p.35)

Extrait du commentaire de Guy Bugault : « Ces stances … commencent  abruptement par ce que les exégètes chinois ont appelé les huit « non » de Nagarjuna. Il s’agit plus exactement de quatre paires de (dé-)négations, conduisant à un rejet de la pensée dualisante et des dichotomies mentales. (…) Mais il y a plus (…) : la coproduction conditionnée est assimilée à une non-production (…) Or, c’est cela qui intéresse Nagarjuna : l’Instructeur qu’il célèbre est moins celui qui a prononcé le Sermon de Bénarès que celui qui a révélé la doctrine de la coproduction conditionnée, aspect le plus profond de la deuxième noble vérité. » (G.B., ibidem, pp. 35-36)

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