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Les pratiquants du zen japonais et du Dzogchen tibétain ne manquent pas de souligner la proximité apparente entre les deux traditions. Bien que celles-ci soient apparues indépendamment l’une de l’autre et ne possèdent pas d’origine commune, les tenants de l’une et l’autre école n’ont aucun mal à se reconnaître dans les textes de l’autre tradition. Le texte suivant, extrait d’une conférence sur le Dzogchen donnée par Philippe Cornu au Musée Royal de Mariemont le 12 mai 2012, pourrait de la même façon s’appliquer au zen.
« Le Dzogchen est un chemin non duel, qui essaie de nous expliquer quelle est notre vraie nature, très directement – c’est-à-dire la nature de Bouddha qui est en nous, qu’on appelle la nature de l’esprit, une nature éveillée et inconditionnée en chacun de nous, notre part inconditionnée. Car nous avons un esprit conditionné, c’est notre esprit ordinaire, conventionnel, celui qui conceptualise, intellectualise, qui a des émotions, qui nous torture beaucoup, nous tourmente, c’est l’esprit qui nous plonge dans une interprétation du monde qui est, du point de vue du Dzogchen, une parfaite illusion.
Mais sous cet esprit, il y a quelque chose qui est de l’ordre de l’inconditionné, qui est une pure vacuité, une pure clarté, qu’on appelle l’état de Rigpa[1], la nature de l’esprit, que je traduis par la « présence éveillée ».
Il ne faut surtout pas utiliser le mot « conscience » pour parler de cet état de l’esprit parce que si l’on parle de conscience, c’est ma conscience « de » quelque chose et on est alors dans un rapport de sujet – objet ; si on est dans un rapport sujet – objet, on n’est pas dans la nature de l’esprit, on est encore quelque part dans l’esprit rationnel, conceptuel et, du point de vue du Dzogchen, il n’y a aucun espoir dans l’esprit conceptuel pour atteindre la liberté naturelle de notre esprit, la véritable nature éveillée.
Le Dzogchen nous explique que cette nature de l’esprit inconditionné, qui est totalement libre puisqu’inconditionnée, qui n’a aucun rapport avec les causes et les effets, ni avec la conditionnalité de notre existence, est tout simplement inatteignable par notre esprit ordinaire ; il faut donc faire un saut dedans, il faut être directement présenté à cette nature, et en faire l’expérience, pour pouvoir bien la distinguer de ce qu’est notre esprit ordinaire. »
[1] « Ce terme … a un sens bien spécifique dans le Dzogchen. Il désigne le mode d’être originel (…), la nature de bouddha en chacun des êtres. En particulier, il faut bien distinguer rigpa de l’esprit ordinaire (…).
L’esprit ordinaire qui comprend les huit consciences, est l’esprit dualiste confus et tourbillonnant, jouet de l’illusion et producteur de confusion. Il est constitué d’une trame d’impulsions momentanées de pensées et de passions et sa nature est vacuité. Découvrir la nature de l’esprit (…), c’est découvrir sa vacuité, son absence d’être en soi. Mais lors de la dissolution de l’esprit ordinaire, entre deux pensées, se manifeste une présence vide et lumineuse, sans objet, qui transcende tout ce qui appartient au domaine de la pensée. Rigpa désigne cette Base primordiale, qui est incomposée, à la fois vacuité et luminosité.
On le dit difficile à découvrir parce qu’il est trop proche de nous, trop simple, au-delà de l’appréhension de l’esprit ordinaire et trop profond. Le maître, à travers des moyens appropriés, permet à l’étudiant d’en faire l’expérience directe, lors de la présentation à rigpa (…). » Ph. Cornu, Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme, Le Seuil, Paris, 2006, Entrée rigpa