« Quand la pratique de zazen, de hishiryo[1], est fortement ancrée, ce travail de transmutation [de l’énergie émotionnelle] devient également possible au sein de la vie quotidienne, aux instants où pour telle ou telle raison surgit une émotion. Au lieu d’essayer de la réprimer ou de la fuir ou au contraire de s’identifier à elle, il s’agit alors de l’accueillir dans un climat intérieur de neutralité bienveillante, sans la juger et sans essayer de la manipuler en quoi que ce soit. De cette façon, elle ne tarde pas à apparaître comme une vague au sein d’un espace plus vaste de conscience.

Avec cette pratique, on est au cœur d’un lâcher-prise à l’égard de l’ego. En effet, les émotions sont en quelque sorte le sang versé par l’ego et ce sang se met à couler toutes les fois que nous sommes touchés, c’est-à-dire que la carapace de défense mise en place par l’ego autour du cœur est percée. Chercher à manipuler ou à réprimer les émotions est une des stratégies pour réparer et consolider cette carapace chaque fois qu’elle se fissure sous l’effet de telle ou telle expérience. En revanche, laisser le sang de l’émotion s’écouler dissout peu à peu la carapace de l’ego et ouvre le cœur. Nous pouvons alors nous sentir en interdépendance avec tous les êtres.

Il faut cependant veiller à ce que le « laisser passer » soit un authentique laisser passer et ne se transforme pas insidieusement en une façon de chasser l’émotion dérangeante, en un refus de l’accueillir et de la laisser se déployer sous l’effet d’une peur de la dite émotion. »

Gérard Pilet, Sagesse du cœur, Paris, Éditions Kan Jizaï, 2008, p. 34-35


[1] Hishiryo : dans le bouddhisme zen, la « pensée au-delà de la pensée », attitude de l’esprit dans la méditation qui n’est ni pensée (Shiryo), ni non-pensée (Fushiryo). Dans la pratique d’hyshirio, on ne suit ni ne rejette les contenus de conscience (pensées, émotions, etc.). Dans l’ouvrage dont ce texte est tiré, Gérard Pilet consacre un chapitre entier (cf. référence ci-dessus p. 27-37) à l’explicitation de Hishiryo.

Les textes proposés sur le blog de Shikantaza expriment avant tout l’opinion de leurs auteurs. Les lecteurs sont invités à les examiner avec l’esprit de libre arbitre prôné par le Bouddha dans le Kalama Sutta.

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